BEFORE SUNSET de Richard Linklater (2004)
Avec Ethan Hawke (Jesse), Julie Delpy (Céline), Vernon Dobtcheff (le libraire), Louise Lemoine-Torres (la première journaliste), Rodolphe Pauly (le second journaliste), Marianne Plasteig (la serveuse), Diabolo (Philippe), Denis Evrard (le préposé)
Neuf ans auparavant, Jesse et Céline se sont rencontrés par hasard à Vienne et ont passé une nuit ensemble dans les rues désertes de la ville. En se séparant, quatorze heures plus tard, ils s'étaient promis de se revoir six mois après. Aujourd'hui, ils se retrouvent à Paris.
On r'fait le film
Richard Linklater fait figure de réalisateur important au sein du cinéma indépendant américain. Tellement indépendant que la plupart de ses films ne sont jamais sortis sur nos écrans !
« Before sunset » constitue la suite de « Before sunrise » qui sortait sur les écrans en 1995. Richard Linklater invite ses deux comédiens principaux, Ethan Hawke et Julie Deply, à coscénariser le récit en sa compagnie. Ils décident de reprendre le récit neuf ans après là où il s’était arrêté. Ils s’étaient quitté au lever du soleil, se promettant de se revoir six mois plus tard. Neuf ans ont passé. C’est là que le rideau de « Before sunset » se lève.
Un metteur en scène qui recherche la simplicité à tout prix, que ce soit dans sa mise en scène ou dans sa structure narrative. Il parvient, avec une grande économie de moyen, à trouver l’efficacité. Un travail de grande clareté qui réussit le pari difficile de créer une suite dont la lecture seule pourrait suffire. Pas besoin d’avoir vu « Before sunrise » pour se plonger complètement dans le second opus et le comprendre, car les dialogues induisent goutte à goutte et finement tout ce qui s’est déroulé dans la première partie.
Tout le travail de mise en scène s’axe sur une volonté de simplicité pour induire de l’authenticité. L’idée consiste à harmoniser les notions temporelles de la narration à celui de la mise en scène, ce qui induit un récit qui se déroule en temps quasi réel pendant toute la durée du film. Pas d’ellipse narrative, tout ce déroule en continu dans une suite de plans séquences invitant à une observation quasi-documentaire sur deux personnages. Dans cette volonté d’authenticité, le réalisateur va nier toute méthode de dramatisation. L’image en elle-même n’est jamais signifiante ou explicite, la caméra se contentant simplement de suivre le parcour des deux personnages. Linklater réalise une véritable prouesse technique car l’utilisation des images non signifiantes provoque souvent le sentiment d’ennui chez le spectateur. C’est là que la magie s’opère dans « Before sunset », car la caméra qui suit en permanence les deux personnages en mouvement provoque un décor, lui aussi, en mouvement permanent. Beaucoup d’efficacité pour vraiment pas cher ! Et quand même de noter cette audace incroyable de suivre deux personnages qui se promènent pendant toute la durée du film !!!
Le dialogue prend une part très important dans le film. Ils sont coécrits en majeure partie par Ethan Hawke et Julie Delpy dans ce qui apparaît comme des récits autobiographiques emmêlés, dirigés et orientés par la baguette du chef d’orchestre Linklater. De nouveau, une recherche de vérité et d’authenticité dans ce procédé qui fait penser un peu aux méthodes « actors studio » sur le jeu de l’acteur, pour faire ressortir l’intériorité vraie. Il y a quelque de chose de Woody Allen dans « Before sunrise », quelque chose de « Annie Hall », non seulement dans l’importance accordée aux dialogues, mais aussi dans la manière de mêler l’introspection et la distanciation dans le propos. Comme un mélange de profondeur et d’humour. On parle de tout et de rien sous forme de questions réponses. On refait le monde en mélangeant les discours profonds et futiles, un peu comme tout le monde le fait dans la vie.
Les réflexions sur le temps apparaissent comme primordiales et fondamentale dans le récit. On a déjà parlé plus haut de la volonté d’hamoniser les notions du temps entre la structure narrative et la mise en scène. Mais tout bêtement, les titres des deux films évoquent cet intérêt pour la réflexion sur le temps. « Before sunrise » ou le moment précédant le lever du soleil, « Before sunset », le moment précédant son coucher. Les deux titres du film réunis qui invitent à faire le tour du cadran solaire dans cette perspective de relation au temps. Une relation au temps qui rappelle des souvenirs pour faire fonctionner la mémoire. Une mémoire qui idéalise ou amoindrit le passé. En effet, le personnage de Ethan Hawke semble avoir idéalisé sa partenaire par l’intermédaire d’un roman racontant leur première rencontre. Le personnage de Julie Delpy semble s’être acharnée à vouloir détruire ce souvenir pour mieux appréhender le temps présent. Leur nouvelle rencontre va nourrir ce travail de mémoire en juxtaposant deux points de vue différents sur leurs souvenirs et sensations. Une volonté de contrôler ce temps avec le personnage de Ethan Hawke qui écrit un roman de souvenir pour créer une nouvelle rencontre, et qui par ce biais semble vouloir prendre son destin en main en offrant la possibilité de réinventer pour de vrai une nouvelle histoire. Analyse du temps présent et du temps passé en forme d’introspection comme un miroir reflétant les espoirs et les désillusions. Comment réussir à contrôler le temps que l’on vit ? Comment ne pas tomber dans une forme de médiocrité de vie ? Comment mettre de la richesse dans son quotidien ? Autant de questions posées dans le dialogue et autant de réponses différentes prononcées par les deux personnages. Enfin un regard sur le temps qui passe et vieillit irrémédiablement l’être humain, mettant également en perspective le vieillissement des idées. Avec le temps qui passe, devenons-nous plus matures ? Sombrons-nous dans l’illusions ou la désillusion ? Avons-nous trahi nos rêves d’enfant ? Avons-nous respecté nos promesses ? Qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ?
Un travail réalisé en 15 jours qui illustrerait parfaitement les notions du « Dogme », mouvement lancé au Danemark sous l’impulsion de Lars Von Trier, pour lutter contre les superproductions, les artifices et effets spéciaux qui envahissent le cinéma contemporain. Une leçon de simplicité et d’efficacité, tout en modestie et pudeur.